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Les techniques de médiation au service des métiers de l’audit


Par Hervé BOULLANGER, Directeur de mission Audit et Conseil, Médiateur CMAP

Depuis plusieurs années, j’enseigne l’écoute active dans une institution d’audit – la Cour des comptes – et je suis parallèlement médiateur au centre de médiation et d’arbitrage de Paris. En réalisant cette double activité, j’ai remarqué à quel point les techniques de la médiation sont d’une grande utilité dans la pratique du métier d’auditeur. Cette constatation est valable tout autant pour les trois principales forme d’audit : l’audit de conformité (compliance audit), l’audit légal (financial audit) ou l’audit de performance (performance audit) et lorsqu’il s’agit d’audit interne comme d’audit externe.

Contrairement à l’image trompeuse de froideur, de distance et d’esprit soupçonneux qu’on associe à ce métier, un auditeur n’est efficace que lorsqu’il pratique une écoute attentive et bienveillante des personnes qu’il est amené à interroger dans le cadre de son audit. Les engagements d’indépendance, de neutralité et d’impartialité qui sont exigés du médiateur dans la charte mais aussi les attitudes de patience, d’intérêt, et d’empathie qui sont recommandés pour mener à bien la médiation sont des comportements incontournables pour l’auditeur. S’il n’adopte pas ces attitudes, il encourt de nombreux risques qui l’empêcheront de produire un rapport d’audit de qualité : risque de se laisser guider et emporter par ses a priori (positifs ou négatifs) sur le dossier, risque de voir les personnes concernées par l’audit se fermer à toute travail collaboratif, risque de schématisation, risque de « surinterprétation », risque d’être manipulé par une partie, risque de surestimer les aspects financiers et techniques au détriment des volets humains et culturels …

Comme le médiateur, l’auditeur doit être attentif et formé aux émotions et aux besoins des personnes qu’il rencontre dans le cadre de son travail. Il doit être en mesure, au-delà des mots prononcés par son interlocuteur, d’identifier ses émotions et ses besoins. Souvent l’auditeur est confronté aux émotions de peur, de honte ou de colère qu’il suscite par ses questions ou ses demandes de documents. Par la connaissance qu’il a acquise des techniques de médiation et d’écoute active, il peut être en mesure de désamorcer ces réactions qui freinent le bon déroulement de l’audit. Comme un médiateur, il doit pouvoir y apporter une réponse en répondant aux besoins de sécurité, d’intégrité ou de reconnaissance que ces émotions traduisent.

Les fondements théoriques et scientifiques de la médiation sont principalement la communication non violente (CNV) du psychologie Marshall B. Rosenberg, l’écoute active issue des travaux du clinicien Carl Rogers et la programmation neurolinguistique (PNL) mise au point par John Grinder, et Richard Bandler. Ces techniques rattachées aux chaires universitaires de psychologie sont peu enseignées dans les métiers de l’audit qui préfèrent s’appuyer sur les sciences de gestion moins empiriques. Pourtant, pour qui audite un organisme et veut savoir ce qui marche et ce qui cloche, les tableurs Excel, les « process » et la comptabilité analytique ne disent pas tout.

Il faudra aussi obtenir des explications, des suggestions et des interprétations communiquées par les personnes rencontrées dans l’entité auditée. Pour une conduite d’entretien efficace et fructueuse, la fameuse roue bien connue des médiateurs avec ses quatre étapes incontournables (le quoi, le pourquoi, le comment et le comment finalement), les sept attitudes de Porter, ce disciple de Rogers, la maîtrise des apartés ou encore la technique dite des « canaux sensoriels » (VAKOG) seront bien utiles. Pour bien comprendre une situation, ce qui compte n’est pas uniquement ce qui se compte. Tel est la leçon du médiateur à l’auditeur.

Une analyse rapide pourrait amener à penser que la différence entre les deux missions est l’absence de conflit dans le cadre d’un audit. En réalité, le professionnel qui apprend que son service est audité ressent cette intrusion dans son activité opérationnelle, au mieux comme une contrainte, au pire comme la manifestation d’une méfiance à son égard. Même si ce sentiment est mêlé d’une conscience intime de la nécessité de regards extérieurs périodiques et d’une certaine envie de présenter à une oreille attentive les réussites de son action, l’audit tombe toujours mal. « Je suis d’accord avec le principe de l’audit mais là en ce moment, ça ne m’arrange pas ». L’auditeur est donc amené à travailler, à un moment ou à un autre, dans un climat de méfiance, d’animosité et d’agacement qui rappelle souvent l’ambiance qui règne entre les deux parties dans une médiation.

Certaines attitudes de l’audité sont très proches de celles qu’adoptent l’une ou l’autre partie lors de certaines médiations :

  • Le dégagement de responsabilité : « Ce n’était pas mon travail de vérifier ça »;
  • La position victimaire : « C’est toujours sur moi que cela tombe » ;
  • Le détournement (des questions précises) : l’apitoiement « en ce moment, j’ai autre chose en tête » ou l’enfumage « je suis très attentif au respect des procédures »;
  • L’attaque contre le formalisme, la bureaucratie : « si on devait faire tout ce qu’on nous demande, on n’aurait plus le temps de travailler » ; « tout est fait pour décourager ceux qui créent et entreprennent »;
  • Le cynisme : « La fin justifie les moyens » ; « Les affaires, ce n’est pas un monde de bisounours » ; « Je ne suis pas du genre à me laisser faire »;
  • La position d’accusation en illégitimité : « comment pouvez-vous nous contrôler (être médiateur) alors que vous ne connaissez rien à notre travail ? » « C’est facile d’être bien planqué et de faire des audits (des médiations), c’est autre chose d’être en première ligne sur le terrain ».

Pour juguler ces tensions, l’auditeur doit adopter les mêmes postures que le médiateur :

  • Rester neutre et bienveillant sans se laisser gagner par les émotions de l’autre ;
  • Reformuler pour que l’interlocuteur entende d’une autre bouche ses propres paroles dont il pourra alors comprendre le caractère excessif ou inexact ;
  • Faire prendre conscience à son interlocuteur des aléas et des conséquences concrètes d’un blocage. La BATNA (Best Alternative To a Negotiated Agreement) du médiateur devient la « BATSA » pour l’auditeur (Best Alternative To a Successful Audit) ;
  • Se tourner vers le futur au lieu de ressasser ce qui s’est passé, chercher tous azimuts des solutions pour améliorer la situation : « A quoi aspirez-vous ? » « Serait-il envisageable de… ». Pousser l’interlocuteur à la créativité, à trouver lui-même la solution, dans sa réalité et en conformité avec ses valeurs et son univers mental sans jamais chercher à lui plaquer des solutions toutes faites.

Cette démonstration d’une grande utilité des techniques de méditation pour exercer le métier de l’audit révèle peut-être en réalité que se former à la médiation pourrait être profitable à l’exercice de toute profession. Comme nous n’avons pas vocation à rester toujours confinés comme pendant cette crise du Coronavirus, nous sommes tous amenés à échanger avec nos semblables. Comme c’est un art difficile, il est impossible de le faire sans jamais créer de tensions. Autant apprendre comment les apaiser.


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