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CORONAVIRUS & FORCE MAJEURE : L’INTÉRÊT POUR LE CRÉANCIER ET LE DÉBITEUR RECOURIR A LA MÉDIATION CONVENTIONNELLE


Par Catherien PEULVÉ, Avocat CPLaw, Médiateur CMAP

Impact des Ordonnances 2020-306 et 2020-427

EXPLICATIONS : il convient de se référer à l’ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020. Nous avons évoqué le sort des délais de procédure et analysé celui des mesures de médiation ordonnée par le juge (fiche pratique n°1). Qu’en est-il des délais contractuels qui lient les parties ? Autrement dit, quel est l’impact de la PJP sur les contrats en cours d’exécution ou exécution forcée ? C’est l’objet des articles 4 et 5 de l’ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020 (l’Ordonnance 2020-306) prise en application de la loi d’urgence n°2020-290 du 23 mars 2020, notamment les b et c du 2° du I de son article 11 (la Loi d’urgence), modifiée par l’Ordonnance 2020-427 du 15 avril 2020 (l’Ordonnance rectificative 2020-427), à interpréter à la lumière de la Circulaire de présentation de l’ordonnance du Ministère de la justice du 26 mars 2020, d’application immédiate (Circulaire du 26 mars 2020) et du Rapport au Présidente de la République qui accompagne l’Ordonnance rectificative 2020-427, même si ce dernier n’a pas de portée juridique.

Pour rappel, l’état d’urgence sanitaire a débuté le 12 mars 2020. Cette date constitue le point de départ la période juridiquement protégée (PJP), qui s’achèvera en principe un mois après la publication de la Loi d’urgence (sauf prolongation)[3]. La Loi d’urgence ayant été publiée le 23 mars 2020, la PJP devrait durer jusqu’au 24 juin 2020 inclus.

Force Majeure et Crise Sanitaire : Quel Impact sur les Obligations Contractuelles ?

Mais si l’Ordonnance rectificative 2020-427 ne le prévoit pas expressément, nous comprenons du Rapport au Président de la République accompagnant cette ordonnance que la date de fin de la PJP serait seulement provisoire, lorsqu’il indique que « la date d’achèvement de ce régime dérogatoire n’est toutefois ainsi fixée qu’à titre provisoire ». Le Rapport au Président de la République précise, en effet, que « selon les modalités de sortie du confinement qui seront définies par le Gouvernement, il conviendra d’adapter en conséquence la fin de la « période juridiquement protégée » pour accompagner, le cas échéant plus rapidement qu’il était initialement prévu, la reprise de l’activité économique et le retour aux règles de droit commun de computation des délais ».


Des échéances plus courtes que celles actuelles pourraient donc être prévues dans un texte ultérieur. 


Dès le 28 février, le Ministre de l’Economie a déclaré que l’épidémie de Coronavirus devait être considérée comme un cas de force majeure pour les entreprises dans le cadre de leurs contrats passés avec l’Etat et, qu’en conséquence, il ne sera pas fait application par les personnes publiques des pénalités de retard. Mais qu’en est-il des contrats entre personnes privées ? Un débiteur peut-il se libérer de ses obligations en invoquant la crise sanitaire comme cas de force majeure ? Quelle place pour la médiation conventionnelle ?

Définition et Application de la Force Majeure dans les Contrats en Période de PJP

Définition : simplement évoquée par l’article 1148 (ancien) du Code civil qui en faisait une cause exonératoire de responsabilité contractuelle, la force majeure est désormais définie par l’article 1218 alinéa 1er du Code civil qui dispose:

« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un évènement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. […] »

Application : si l’on tente d’appliquer ces critères à la pandémie de coronavirus, peut-on parler de force majeure ? 

  • l’extériorité ne devrait pas faire de doute : la pandémie échappe au contrôle du débiteur
  • l’imprévisibilité est plus incertaine : pour déterminer si l’évènement « ne pouvait être raisonnablement prévu », il convient de se reporter à la date à laquelle le contrat en cause a été conclu. Avant janvier 2020, cela semble bien être le cas. Pour les contrats conclus après cette date, il sera plus difficile d’affirmer que l’événement constitué par la pandémie ne pouvait pas être raisonablement prévu
  • l’irrésistibilité : la pandémie empêche-t-elle l’exécution de l’obligation ? La rend-elle impossible ? En conservant à l’esprit qu’il doit s’agir véritablement d’une impossibilité absolue d’exécution et pas simplement d’une exécution plus difficile ou plus onéreuse.

Dans tous les cas, il conviendra de procéder à une analyse au cas par cas, en analysant comme cas de force majeure soit la pandémie elle-même, soit les mesures de confinement prises par le gouvernement, le  « fait du prince » pouvant être constitutif d’un cas de force majeure.

Effets : la force majeure est exonératoire de la responsabilité de celui qui ne peut pas exécuter son obligation, application de l’adage « A l’impossible nul n’est tenu ! ».

Applications : dans le cas de la pandémie de coronavirus :

  • on peut imaginer que l’exécution de certaines obligations soit suspendue aussi longtemps que durera le confinement et cela sans aucune pénalité, sauf si l’exécution de l’obligation s’inscrit dans un calendrier particulier dont le respect était essentiel pour le créancier (dans ce cas le contrat sera résolu)
  • le créancier ne peut solliciter aucun dommages et intérêts contre le débiteur en cas de force majeure, quel que soit le préjudice qu’il subit.

Exclusions : la force majeure ne pourra pas être invoquée par le débiteur dans les deux cas suivants (hors aménagement contractuel), même face à l’ampleur de la crise actuelle :

  • il avait été mis en demeure d’exécuter avant l’événement de force majeure. « Force majeure sur retard ne vaut » ! (article 1351 du Code civil)
  • il doit de l’argent : un cas de force majeure ne peut pas empêcher de payer ses dettes et de le faire à l’échéance convenue.

L’Importance de la Médiation dans le Contexte de l’Urgence Sanitaire : Une Alternative à Explorer

Dans cette période troublée et instable, entrer en médiation conventionnelle nous paraît utile pour les raisons suivantes :

  • Il existe des incertitudes sur la poursuite des contrats et la faculté ou non d’invoquer la force majeure : le contrat a-t-il été conclu avant ou après janvier 2020 ? l’événement constitué par la pandémie pouvait-il être raisonablement prévu ? l’exécution du contrat est-elle empêchée par la pandémie ou les mesures gouvernementales subséquentes ?
  • du côté du créancier, il subit un important préjudice, de sorte qu’il a plus intérêt à tenter une négociation plutôt qu’à s’opposer fermement à la mise en œuvre par son débiteur de la force majeure
  • l’exécution de l’obligation s’inscrit dans un calendrier particulier dont le respect était essentiel pour le créancier
  • du côté du débiteur, l’obligation dont l’exécution est empêchée est une obligation de paiement, exclue du recours à la force majeure
  • il avait été mis en demeure de s’exécuter avant la survenance du cas de force majeure, pandémie ou mesures d’état d’urgence sanitaire.

Comprendre les Enjeux Juridiques des Contrats en Période d’Urgence Sanitaire : Guide Pratique

Autres fiches pratiques disponibles :

Du sort des médiations ordonnées par le juge pendant la période d’urgence sanitaire

De l’intérêt pour l’entreprise aller en médiation conventionnelle compte-tenu des adaptations faites aux délais des actes prescrits par la loi ou certaines clauses conventionnelles

De l’intérêt pour l’entreprise aller en médiation conventionnelle compte-tenu des incertitudes en matière d’application de l’impévision

Des moyens à la disposition du médiateur s’il est empêché d’exercer sa mission


[3] L’article 1 de l’Ordonnance 2020-306 dispose en effet que la PJP se terminera à « l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 22 mars 2020 susvisée ».

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