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Note informative sur les délais relatifs à la médiation judiciaire sous le prisme de l’arrêt du 12 janvier 2023 de la Cour de cassation


La Cour de cassation, dans un arrêt du 12 janvier 2023 a apporté des précisions sur le régime entourant les délais relatifs à la médiation judiciaire. De la détermination du point de départ de la médiation aux conséquences de ce dernier sur l’interruption des délais d’instance en passant par la détermination de la mission du médiateur, cette décision soulève un certain nombre de problématiques qu’il convient de clarifier.

La présente note s’attachera à confronter les éléments apportés par l’arrêt aux zones grises qui subsistent quant aux aspects pratiques de la médiation, et ce pour permettre aux médiateurs d’adopter les bons réflexes.

Introduction

La question relative aux délais est particulièrement sensible au stade de l’appel.

En première instance, qu’il s’agisse du Tribunal Judiciaire, du Tribunal de Commerce ou du Conseil des Prud’hommes, le calendrier est généralement défini par le magistrat, sans que les délais pour conclure ou former des demandes incidentes ne soient enfermés dans des délais légaux, courts et stricts comme en matière d’appel. Aussi la question relative aux délais concerne surtout l’appel.

En effet, les articles 901 et suivants du Code de procédure civile enferment l’action ordinaire en matière d’appel dans un certain nombre de délais à respecter.

Premièrement l’article 908 du Code de procédure civile prévoit : « A peine de caducité de la déclaration d’appel, relevée d’office, l’appelant dispose d’un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel pour remettre ses conclusions au greffe. »

Aussi, l’article 909 du Code de procédure civile prévoit : « L’intimé dispose, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, d’un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant prévues à l’article 908 pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué. »

L’article 910 du Code de procédure civile prévoit : « L’intimé à un appel incident ou à un appel provoqué dispose, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, d’un délai de trois mois à compter de la notification qui lui en est faite pour remettre ses conclusions au greffe. »

Toutefois, l’article 910-2 du Code de procédure civile précise en substance que la décision qui ordonne une médiation interrompt les délais impartis pour conclure et former appel incident mentionnés aux articles précités.

Cette interruption « produit ses effets jusqu’à l’expiration de la mission du médiateur ».

On précisera que classiquement, à l’instar du régime en matière de prescription, l’interruption efface le délai acquis et fait courir à l’expiration de ses effets, un nouveau délai de même durée que l’ancien.

Enfin, l’article 131-3 du Code de procédure civileénonce que « la durée initiale de la médiation ne peut excéder trois mois à compter du jour où la provision à valoir sur la rémunération du médiateur est versée entre les mains de ce dernier, à la demande du médiateur, la mission peut être renouvelée une fois, pour une même durée ».

Tout ceci exposé, pour comprendre les effets d’une médiation judiciaire sur les délais en matière d’appel il faut d’abord déterminer le point de départ de la médiation judiciaire (I) pour ensuite en connaître la durée (II) avant, enfin, de discuter des conséquences juridiques des échanges qui se poursuivraient entre les parties à l’expiration de la médiation judiciaire (III).

I.         Le point de départ du délai de la médiation judiciaire

1.1     Une solution rendue sous l’empire du droit antérieur au décret du 25 février 2022

Selon la règle de droit posée à l’article 131-3 du Code de procédure civile tel que modifié par le décret du 25 février 2022, le délai de trois mois, maximum, commence à courir au jour « où la provision à valoir sur la rémunération du médiateur est versée entre les mains de ce dernier. »

L’arrêt du 12 janvier dernier, traitant d’une ordonnance rendue en 2017, soit antérieurement au décret de 2022, ne soulève de questions que s’agissant du point de départ fixé par l’ordonnance qui, en l’espèce, ne correspond pas à la date du complet versement de la provision. En effet, sous l’empire de l’ancien article 131-3 du Code de procédure civile, il n’était pas fait état du point de départ de la médiation. Seule était inscrite la durée maximale de la médiation, soit trois mois.

1.2     Les interrogations en cas de carence de l’ordonnance de désignation d’un médiateur

Avant tout, il convient de rappeler que cette notice porte sur un arrêt relatif à une ordonnance de désignation d’un médiateur judiciaire. En pratique, les observations faites dans cette notice peuvent s’étendre à toute décision relative à la saisine d’un médiateur par la juridiction : ordonnance de désignation d’un médiateur, ordonnance d’accord des parties pour entrer en médiation, injonction de rencontrer un médiateur. Aussi, la médiation judiciaire ordonnée par le Conseil des Prud’hommes étant régie par les mêmes dispositions, il convient alors d’intégrer cette médiation à notre raisonnement.  

Il est alors désormais clair, à la lecture du texte actuel, que le point de départ de la médiation est fixé au jugement du versement complet de la provision. C’est donc le point de départ que tout médiateur doit considérer, et en l’espèce le CMAP. Sur ce point, le décret a mis fin à une incertitude qui pouvait se montrer préjudiciable aux parties. Jusqu’alors le point de départ de la médiation pouvait être fixé a posteriori notamment par le magistrat en cas de conflit.

En dépit de cette nouvelle certitude, des interrogations subsistent néanmoins :

                En premier lieu, comment déterminer le point de départ de la médiation lorsque le versement s’effectue au moyen d’un paiement par chèque ? Faut-il retenir la date d’envoi, de réception, d’encaissement ?

La solution la plus logique serait de retenir la date de réception du chèque par le médiateur ou le centre de médiation. En pratique, cela implique pour le CMAP d’accuser réception des chèques et plus largement de tous les paiements effectués par les parties, qu’ils soient effectués par chèque, espèce ou virement.

Cet accusé de réception viendra officialiser la date de complet paiement des provisions, afin que les parties aient connaissance de la date servant de point de départ au CMAP pour la computation des délais.

                En deuxième lieu, lorsque la provision est divisée entre les parties, il semble logique que le dernier versement déclenche le point de départ de la médiation. Mais dans ce cas n’est-ce pas offrir à la partie la moins diligente l’opportunité de geler le départ de la médiation et d’agir de manière dilatoire ?

Bien entendu, cette question ne se pose que dans l’hypothèse où l’ordonnance ne prévoit pas elle-même une date limite de versement des provisions. C’est une hypothèse non majoritaire mais qui reste tout de même suffisamment significative pour être soulignée.

Aussi, est-il important pour accompagner les médiateurs et/ou les institutions qui administrent les procédures, d’encourager les magistrats à prévoir dans leurs ordonnances une date limite de consignation.

Des échanges sur ce point pourraient être intéressants dans le cadre du développement des partenariats entre les juridictions et le CMAP.

 – En troisième lieu, qu’en est-il du versement hors délai des provisions ? Quelle attitude peut prendre le Centre face à cette situation ?

Il est évident que le Centre suive à la lettre les ordonnances et tire les conséquences prévues s’agissant des versements hors délai.

Dans le cas où l’ordonnance ne mentionne pas les conséquences à tirer du versement hors délai des provisions, le Centre applique les dispositions de l’alinéa 3 de l’article 131-6 du Code de procédure civile, précisant la caducité de l’ordonnance et la poursuite de l’instance.

– En dernier lieu, la médiation a-t-elle un effet sur les délais de prescription ?

Le Règlement de médiation inter-entreprises du CMAP, expose à l’article 4.4, que le délai de prescription est suspendu à la date de la réception, par le Secrétariat, de la demande de médiation.

Le Règlement de médiation inter-entreprises vient régir les médiations conventionnelles administrées par le CMAP. On peut dès lors s’interroger sur l’opportunité d’appliquer cette disposition aux médiations judiciaires administrées par le CMAP.

La demande en justice, conformément aux articles 2241 et 2242 du Code civil interrompt les délais de prescription et de forclusion, jusqu’à l’extinction de l’instance. Cette demande en justice est à l’origine de l’instance qui liera les parties. Lorsque le juge ordonne une médiation judiciaire, l’instance dans laquelle la médiation s’inscrit n’est pas éteinte et le juge n’est pas dessaisi.

Dès lors, l’effet interruptif du délai de prescription de la demande en justice protège les parties pendant et après la médiation judiciaire, jusqu’à l’extinction de l’instance, de sorte que l’effet suspensif de prescription attaché à la médiation par l’article 2238 du Code civil et rappelé par le Règlement de médiation du CMAP n’est pas la seule protection pour les parties.

Ici ce n’est donc pas la procédure de médiation qui peut avoir un effet sur les délais de prescription, mais bien l’instance qui sera reprise en cas d’échec de la médiation ou éteinte en cas d’accord des parties. Dans ce dernier cas, le juge est informé de l’accord des parties et prend les dispositions nécessaires à l’extinction de l’instance, par exemple en rendant une décision de dessaisissement, suivant l’article 384 du Code de procédure civile.

1.3     La réponse que le CMAP peut apporter dans son processus 

Plusieurs pistes sont ici à considérer.

Lorsqu’une date limite de versement n’est pas prévue par l’ordonnance, le Centre rend obligatoire, tout en mettant en place des délais, le versement des provisions avant la tenue de la première réunion de médiation. Si une partie faisait preuve de diligences insuffisantes, le Centre en référerait au magistrat.

Il est important que le médiateur et les parties aient pleine conscience du point de départ du délai de la médiation. Cette information doit être transmise de manière claire et précise, de sorte qu’à tous les stades de la procédure, les parties aient connaissance du point de départ de la médiation et donc de la date de fin de mission du médiateur.

II.       Le délai de la médiation judiciaire et la détermination de la fin de mission du médiateur

 2.1        Les précisions de l’arrêt du 12 janvier 2023

L’arrêt rappelle les dispositions de l’article 131-3 du Code de procédure civile, à savoir que la durée de la médiation judiciaire ne peut excéder la durée initiale de trois mois. Elle peut toutefois être prolongée d’une durée égale au premier délai. Cela signifie que la prolongation peut donc être de fait inférieure à trois mois.

NB : On peut noter par ailleurs qu’en pratique, le médiateur notifie au magistrat la prolongation sans attendre sa confirmation formelle pour poursuivre la médiation. Cela peut entraîner des difficultés notamment dans le cas où le magistrat déciderait finalement de rejeter la demande de prolongation.

Cette hypothèse reste néanmoins très rare, particulièrement si les deux parties ont donné leur accord à la prolongation du délai.

A l’issue de ce délai, quel qu’il soit, la mission du médiateur et la médiation judiciaire prennent fin.

Pourtant dans le moyen de l’arrêt, la demanderesse soutenait que « la date d’expiration de la mission du médiateur est celle [du jour] où l’affaire a été rappelée à une audience à laquelle les parties ont été convoquées […] ». Elle estime que la date de fin de mission contenue dans l’ordonnance ne peut pas être considérée comme la date de fin de mission du médiateur, ce dernier n’ayant pas remis son rapport.

La Cour de cassation répond, sans équivoque, que le terme, du 20 février 2017 en l’espèce, contenu dans l’ordonnance, « marque la reprise de l’instance » et ainsi la fin de la médiation judiciaire.

Si le doute existait, la Cour de cassation indique dans cet arrêt que la fin de la mission du médiateur, survient de plein droit au jour de fin de mission indiqué dans l’ordonnance ou au plus tard au jour de l’expiration du délai légal maximal de la médiation judiciaire.

Cette précision est lourde de conséquence puisqu’elle entraîne une déconnexion avec la fin de la médiation ressentie par les parties. De sorte qu’à cette date, en dépit des échanges poursuivis ultérieurement, la médiation judiciaire cesse d’exister et avec elle toutes les protections afférentes.

2.2         Les effets sur le processus du CMAP

A ce stade les effets sont encore une fois les mêmes que précédemment. Il est indispensable d’informer médiateurs et parties sur cette subtilité pour que tous puissent être pleinement éclairés sur les délais stricts qui encadrent leur médiation.

Aussi les médiateurs, et le Centre, doivent exposer très clairement aux parties que la mission du médiateur prend irrévocablement fin à la date indiquée par l’ordonnance ou calculée en tenant compte du point de départ de la médiation et du délai donné par la juridiction.

Concrètement, dans le but de rendre la fin de la médiation plus claire pour les parties, le CMAP adresse aux parties, lors de la clôture du dossier de la médiation, une copie du courrier qu’il adresse à la juridiction.

III.        Le sort des discussions à l’expiration de la médiation judiciaire

 3.1        La reprise des délais d’instance

La première protection qui disparaît dès la fin de mission du médiateur et donc la fin de la médiation judiciaire est celle de l’article 910-2 du Code de procédure civile qui suspend l’ensemble des délais le temps de la médiation judiciaire.

Sur ce point l’arrêt se veut encore très clair :

« La mission du médiateur avait pris fin le 20 février 2017 […] ce terme marque la reprise de l’instant […] doit être décompté à partir de cette date le délai de trois mois impartis à l’appelant pour conclure […] ».

Ou encore :

« Les pourparlers poursuivis de façon informelle ne sont pas de nature à interrompre les délais pour conclure ».

Que faut-il comprendre ?

En l’espèce, le délai de trois mois pour conclure, imposé en cause d’appel, avait été interrompu par l’ordonnance de médiation et ce, comme prévu par le Code civil, jusqu’à la fin de la mission du médiateur.

Aussi, à l’issue de cette dernière, et dans les conditions énoncées précédemment, les effets de l’interruption cessent. C’est donc un nouveau délai équivalent, de trois mois, qui recommence à courir et ce, de plein droit, sans qu’il soit nécessaire qu’une audience de rappel ne soit fixée, condition non prévue par le texte.

De la même manière, ni le passage à une médiation conventionnelle, ni la poursuite de pourparlers de manière informelle ne sont de nature à provoquer une interruption des délais de sorte que l’absence de conclusions dans les trois mois suivant la fin de la médiation judiciaire entraîne la caducité de la déclaration d’appel.

Le CMAP et les médiateurs doivent donc informer précisément les parties sur les délais, sans pour autant créer un nouveau devoir d’indiquer aux parties les conséquences de ces délais.

Sur ce point, il serait opportun d’étendre ce régime d’interruption des délais à la médiation conventionnelle pour poursuivre la volonté affichée de donner plus de place à l’amiable et notamment la médiation.

3.2         La confidentialité des échanges

La question de la computation des délais en médiation judiciaire et de ses conséquences sur la procédure en appel n’est pas la seule à constituer un point de vigilance pour les parties. Il convient également de s’interroger sur les conséquences de ce délai sur la confidentialité des échanges postérieurs à la fin de la médiation judiciaire. Sur ce dernier point, les médiations ordonnées par toutes les juridictions pourraient être concernées, plus uniquement celles ordonnées en appel. 

Désormais, il est clair que la médiation judiciaire prend fin de plein droit à l’expiration de la mission du médiateur. Cette dernière pouvant être fixée par le Code de procédure civile ou par le juge. Aussi à partir de cette date, tous les échanges entre les parties ne sont plus réalisés dans le cadre d’une médiation judiciaire de sorte qu’ils ne bénéficieraient plus des garanties attachées à la médiation, notamment la confidentialité des échanges. En effet, les pourparlers informels ne bénéficient d’aucune sorte de protection.

Or, il s’agit d’une problématique majeure pour les parties d’autant que l’instance à laquelle elles prenaient part reprend.

A ce stade deux solutions peuvent être mises en place pour recouvrer une confidentialité des échanges :

 –      Les parties peuvent conclure un contrat de confidentialité par lequel elles s’engagent au secret des échanges. Cette solution est envisageable lorsque les parties ont pu se rapprocher lors de la médiation judiciaire, de sorte que la signature d’un accord ne nécessite que peu d’échanges entre les parties.

–      Les parties peuvent recourir à la médiation conventionnelle et recouvrer la confidentialité de leurs échanges dans ce cadre. Toutefois dans ce dernier cas, il faut rappeler qu’elles n’auront, d’autre choix que de poursuivre un affrontement contentieux en parallèle de leur tentative de règlement amiable, ce qui peut s’avérer particulièrement contre-productif pour le processus de médiation.

3.3         La responsabilité des acteurs de la médiation

Enfin, il est important de soulever la question de la responsabilité des médiateurs. Comme évoqué précédemment l’obligation des médiateurs et du Centre se concentre sur l’information relative aux délais.

Il faudra chercher à se prémunir de toute action en responsabilité du fait de la poursuite d’une médiation hors délai, ou d’un défaut d’information qui causerait un préjudice aux parties.

En effet, la partie qui n’aurait pas été informée des délais et notamment celui induisant la fin de la médiation judiciaire pourrait être tentée de se retourner contre le médiateur et le Centre.

Il paraît alors essentiel d’informer au maximum les parties et leurs conseils sur les délais entourant la mission du médiateur, notamment en éditant un calendrier de procédure, y renseignant les dates clés de la médiation et les délais concernés.

En second lieu, aucune médiation judiciaire ne doit être poursuivie d’aucune manière que ce soit postérieurement à la date de fin de mission du médiateur sauf à obtenir l’accord et donc une décharge de responsabilité des parties.

Le passage éventuel en médiation conventionnelle doit aussi s’accompagner d’une information claire aux parties notamment sur la reprise des délais.

La responsabilité du Centre et de ses médiateurs ne saurait être étendue aux cas d’absence d’information des parties sur les conséquences de la reprise des délais à l’issue d’une médiation. Le Centre ne délivrant pas de conseils juridiques, il est opportun de laisser aux avocats le soin de jouer leur rôle de conseil et d’accompagnant dans tout le processus de résolution du différend.

En conclusion, la priorité des médiateurs et des institutions est donc de veiller à la computation des délais et bien entendu d’en tenir informées les parties. En effet, si le point de départ de la médiation est clair, la question du processus vis-à-vis du début des médiations judiciaires et du règlement des provisions devra être traitée

Il convient tout au long des médiations judiciaires et surtout à l’approche de la fin de mission initiale ou la fin de mission prolongée du médiateur de veiller à toujours se trouver dans les bons délais pour éviter d’encadrer des pourparlers qui ne seraient pas totalement protégés par les garanties de la médiation.


Bérangère CLADY

Directrice du Pôle MARD

CMAP

En corédaction avec :

Jean-Baptiste Branes & Julia Delaitre

Stagiaires – Juristes MARD

CMAP


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